Édition du Samedi 14 Février 2004

Cinquante-six ans après la catastrophe ferroviaire du Pont-à-Marcq–Pont-de-la-Deûle

Une rescapée retrouve l’homme qui la sauva

Avant de rencontrer Guy Desbiens, ni l’un ni l’autre n’en n’avaient jamais parlé. Sauf par bribes, peut-être. Pourtant, mardi dernier, Jeanine Fournel a accompagné le président des Amis du PP jusqu’à Mons-en-Pévèle, chez Rémy Marquis. Alors qu’ils ont, aujourd’hui, respectivement 77 et 82 ans, le destin avait déjà fait se croiser la Douaisienne et le Pévèlois sur les bords de la voie du PP, le petit train qui venait d’entrer en collision avec un convoi de marchandises (voir ci-dessus), le mardi 17 février 1948.

Elle, jeune fille de 20 ans, qui travaillait à la sucrerie comme ouvrière de casserie, était coincée sous un amas de ferraille. Lui, chef cantonnier, avait la responsabilité de l’entretien des voies du PP. Ce jour-là, il travaillait à Thumeries.

« Il était 17 h 30 et nous commencions à rassembler nos outils quand le train de voyageurs, qui se dirigeait vers Douai, est passé en face de nous sur la voie principale. Nous n’y faisions pas trop attention : C’était son heure de départ et nous pensions que le train de marchandises prévu en sens inverse était supprimé, comme ça arrivait parfois », se souvient Rémy Marquis qui a consigné ses souvenirs par écrit. Pour ne rien oublier mais, aussi, pour ne pas trop laisser paraître son émotion.

Et puis, il y a eu une explosion terrible. « Le train de voyageurs venait de rencontrer celui de marchandises. Nous avons vu les deux locomotives s’affronter comme des monstres et se dresser l’une contre l’autre, raconte-t-il. C’était un vrai massacre ; les vapeurs brûlantes formaient un nuage opaque et empêchaient d’approcher. »

Un cantonnier court chercher du secours à la gare ; Rémy Marquis et le reste de son équipe vont aider les victimes : « C’était effrayant ! Les voyageurs qui n’étaient pas ou peu blessés couraient en tous sens, hurlant de peur... On est d’abord montés là où on pouvait, sans approcher trop près des locomotives. On dégageait des banquettes, rapprochées les unes des autres, les gens pris au piège de leurs mâchoires. Il fallait arracher les lattes en chêne des sièges en les tordant à chaque bout... »

« Il y avait du sang partout. C’était effroyable, poursuit Rémy Marquis. Dix-huit morts et 80 blessés ont été retirés des amas de bois et de ferraille enchevêtrés. »

Parmi eux, il y avait Jeanine Labarre. Après avoir perdu connaissance, elle était revenue à elle. Une chance ! En entendant les sauveteurs qui s’apprêtaient à abandonner les recherches à l’avant, elle a bougé une de ses mains qui dépassait.

« Ils ont réalisé qu’il y avait encore quelqu’un de vivant ; ils ont enlevé les morceaux de bois et ont essayé de me tirer. J’avais le bassin fracturé et j’étais couchée, les jambes coincées entre deux banquettes. » Souffrant également énormément de la mâchoire et d’un traumatisme crânien, elle sera hospitalisée pendant une dizaine de jours à Oignies, mais il lui faudra dix mois pour se remettre physiquement. Pourtant, la Douaisienne reconnaît que ce jour-là, elle a eu de la chance. « Chacun s’asseyait dans le même compartiment pour éviter la pagaille et j’avais l’habitude de me mettre près de la fenêtre du premier wagon pour tricoter, raconte-t-elle. Ce soir-là, un jeune homme y était déjà installé. Une amie lui a demandé de partir mais moi je lui ai fait signe de rester. Il a été tué sur le coup ! » Plus d’un demi-siècle après, les images de la catastrophe défilent toujours dans la tête de de Rémy Marquis et de Jeanine Fournel. Ils témoignent pour l’histoire, mais leurs yeux sont humides et rougis.

Témoignages recueillis par J. B.

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MmeFournel était à l’époque la jeune Jeanine Labarre.